Sunday, May 02, 2010

L'activité des mathématiciens en chair et en os

(...) les mathématiciens professionnels cherchent à s'engager dans les voies les plus naturelles possibles, celles dans lesquelles leur intuition géométrique ou analytique ou arithmétique — car il existe une intuition arithmétique — peut s'exercer.
L'activité des mathématiciens en chair et en os diffère de celle des machines sur un autre point encore: les premiers ne sont pas en mesure de se conformer strictement à la rigueur logique absolue dont feraient preuve les secondes si elles existaient. Dans la pratique, les textes mathématiques les mieux écrits comportent une multitude de «trous» en l'absence desquels la lecture de ces textes serait un exercice intolérable. Ces lacunes logiques sont sans importance, parce que chacun est parfaitement convaincu du fait qu'on pourrait les combler si on le désirait — en fait, il est même probable que le lecteur débutant ne les apercevra pas. On estime aujourd'hui qu'un texte mathématique est «parfaitement» correct lorsqu'il a acquis le degré de clarté et de rigueur qu'on a toujours trouvé dans les exposés d'Arithmétique élémentaire (et c'est pourquoi il est fort regrettable que cette branche des Mathématiques n'occupe pas plus de place dans l'enseignement secondaire français); l'immense majorité des théories mathématiques peuvent maintenant s'exposer dans ce style, et cette possibilité a pour corollaire le fait qu'on n'admet plus, aujourd'hui, le genre d'exposé décoratif qui permettait encore, il n'y a pas si longtemps, à certains mathématiciens, de briguer à la fois l'Académie des Sciences et l'Académie Française.
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(Roger Godement, Cours d'algèbre)

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